Le Temple de Ramsès II à ABOU-SIMBEL
Au cours de son règne, Ramsès II fera ériger ce grand temple à la frontière sud de son royaume. Pour qui? Pourquoi?
ans perdre un instant, nous filons en direction des Temples à « toute berzingue » (comprenez à vive allure). Vous m’excuserez, mais la fébrilité qui me gagne en me rapprochant du but, me libère des tournures un peu trop académiques. Nous marchons d’un bon pas, animé par l’excitation des retrouvailles avec ce site que nous avions visité, en 1979…Trente-huit ans déjà!
« Il n’y a qu’à suivre la route et au carrefour où est indiqué la direction pour Assouan, prendre à gauche! »
Nous suivons exactement les indications du patron de l’hôtel. Nous pressons le pas, alors que rien nous y oblige. Les bâtiments marquant l’entrée du site sont à présent en vue . Trente minutes de marche, c’est ce qui était annoncé.
La plupart des boutiques qui longent l’allée ont tiré leurs volets et les deux marchands qui exposent quelques objets devant leur échoppe, ne lèvent même pas les yeux à notre passage. L’endroit est désert, comme abandonné.
Derrière son guichet, le préposé à la vente des tickets nous observe comme s’il venait de voir un mirage.
La plupart des boutiques qui longent l’allée ont tiré leurs volets et les deux marchands qui exposent quelques objets devant leur échoppe, ne lèvent même pas les yeux à notre passage. L’endroit est désert, comme abandonné.
La tempête de sable qui a soufflé durant toute la journée d’hier, a obligé bon nombre de touristes à reporter leur visite. Nous sommes donc seuls ou presque. D’après le caissier, quatre autres personnes circulent sur le site.
Retrouver l’émotion de la première découverte
ous suivons le chemin pavé qui descend vers le Lac Nasser. A gauche, un énorme talus nous cache encore les temples. A quoi faut-il s’attendre? Allons-nous revivre la même émotion que lors de la première visite en 1979?
-
Abou-Simbel en 1979Arrivée à proximité du Temple de Ramsès II. Les colosses de pierre apparaissent au regard.
-
Abou-Simbel 1979 (2)Approche du Temple de Ramsès. Suivons le petit chapeau rouge: c’est Véro.
-
Abou-Simbel 1979 (3)Le Temple de Ramsès II
-
Abou-Simbel 1979 (4)Les colosses à l’effigie de Ramsès II.
-
Abou-Simbel 1979 (5)Statue colossale de Ramsès II
-
Abou-Simbel 1979 (6)Les colosses de Ramsès II
-
Abou-Simbel 1979 (7)Une des huit statues osiriaques de Ramsès II à l’intérieur du Temple.
-
Abou-Simbel 1979 (8)Balustrade le long de la façade du Temple.
Une dernière courbe et voilà que le temple de Ramsès apparaît. Toute l’excitation contenue retombe comme un soufflé. Est-ce de la déception? – Non, mais c’est un sentiment bizarre que nous partageons tous les deux. Nous le comprendrons plus tard. Mais à cet instant, ce n’est pas pareil qu’il y a 38 ans. Bien sûr, il est grand, il est beau, … mais, il y a un « mais ».
– Peut-être, l’avons-nous magnifié dans nos souvenirs?
– Peut-être, l’avons-nous abordé, avec un autre esprit que la première fois?
– Peut-être, nos attentes de sens sont devenues plus fortes que nos attentes esthétiques?
– Peut-être, l’avons-nous abordé, avec un autre esprit que la première fois?
– Peut-être, nos attentes de sens sont devenues plus fortes que nos attentes esthétiques?
Je ressens ce même sentiment face à une écriture qui utilise des caractères qui me sont étrangers. Étant dans l’incapacité d’en comprendre le sens, mon regard s’attache à la beauté de cette composition graphique. Et je peux y trouver beaucoup de plaisir à l’observer sans y rien comprendre.
Mais, si d’aventure, il m’arrive à m’intéresser au sens de ces caractères, aussitôt mon regard change de registre. La prise de sens estompe alors, la simple beauté du trait et il ne m’est plus possible de revenir à la sensation purement esthétique du regard premier. Explicité ainsi, cela peut paraître assez formel.
Je suis persuadé que le regard que je pose aujourd’hui sur le temple d’Abou-Simbel a changé. En 1979, j’étais dans l’exclamation (Waouh!). Aujourd’hui, je suis davantage dans l’interrogation (Pourquoi? Pour qui? Quel sens faut-il donner à tout cela?). En 1979, j’observais un chef-d’oeuvre du passé. Une pièce unique laissé en héritage aux générations futures. L’exaltation du moment, aurait très bien pu me faire dire que ce magnifique temple édifié voilà plus de trois mille ans, l’avait été, pour que je puisse l’admirer en 1979. Ce qui, vous en conviendrez, est un raccourci pour le moins égocentrique. Aujourd’hui, en tout cas, mon approche a changé et, par la même, mon regard aussi.
e Temple de Ramsès II à Abou-Simbel est « Waouh! »
– C’est tout?
Je me rallierai volontiers à l’avis de Cyrano qui s’exclamait : « Ah! non! c’est un peu court, jeune homme! On pouvait dire… Oh! Dieu!… bien des choses en somme ».
Quittons donc le domaine des exclamations et des superlatifs pour nous adonner au questionnement et à la quête de sens. Acceptons d’ores et déjà l’imperfection et l’incomplétude de notre analyse, car la vérité est enfouie dans les profondeurs de l’histoire.
Pourquoi Ramsès fait-il édifier ce monument à cet endroit?
Le Temple est élevé à la frontière sud du royaume de Ramsès. Pourquoi, bâtir un temple aussi gigantesque à cet endroit, si éloigné de sa capitale Pi-Ramsès? Les Temples n’ont-ils pas pour fonction de vénérer les dieux et la famille royale? Dans ce cas, n’aurait-il pas mieux valu le construire dans la capitale ou dans une grande ville du pays?
Le temple d’Abou-Simbel aurait bien pu avoir une vocation de dissuasion à l’encontre de populations qui fomentaient des projets d’invasion. Si la taille des colosses nous impressionne toujours aujourd’hui, on peut imaginer la crainte qu’elle devait imprimer dans les esprits de l’époque. La démesure des statues reflétait la puissance du monarque qui les avait fait élever. Dès lors, le temple, s’adressait à quiconque pénétrait sur les terres du royaume.
Les bas-reliefs (voir ci-contre), de part et d’autre de l’entrée du temple sont autant de mises en garde à l’égard de ceux qui prendraient les armes contre le royaume.
Les bas-reliefs situés à gauche de la porte d’entrée, au pied du second colosse, montrent des prisonniers nubiens. Agenouillés, les captifs sont entravés par des liens végétaux qui se terminent par une fleur de lys, symbole de la Haute-Égypte.
Ramsès II, révisionniste de sa propre histoire
Le Temple de Ramsès II, est l’un des monuments qui porte sur ses murs des évocations de la bataille de Qadesh dont nous avons largement parlé dans la page consacrée à Ramsès II, dans le chapitre « Une propagande pharaonique ». Les bas-reliefs relatent la version officielle de la bataille de Qadesh.
« Ramsès massacra toute l’armée du pays hittite,…Son infanterie et ses troupes en chars de guerre tombèrent face contre terre, l’un au-dessus de l’autre. Ramsès les tua et ils gisaient de tout leur long devant ses chevaux. Pourtant Sa Majesté était seule, nul ne l’accompagnait. »
On peut considérer cette petite perle, comme la plus grande campagne de propagande pharaonique de l’histoire, d’autant que la victoire ne fut pas vraiment au rendez-vous.
Un portrait de famille
a façade fait face à l’est. Toutes les statues sont donc exposées au soleil levant. Nous verrons que cette orientation joue un rôle essentiel dans la scénographie de l’endroit.
Le temple est voué au culte d’Amon-Rê, de Rê-Horakhty, de Ptah et de Ramsès II. Mais si on y regarde de près, le Temple honore surtout Ramsès II.
Sculptés dans la roche, quatre colosses à l’effigie de Ramsès II fixent l’horizon. Entre les pieds du pharaon, prennent place des statues de plus petites tailles. Elles représentent des membres de la famille royale: mère du roi, épouses royales, fils et filles aînés des épouses royales. Si la mère et les épouses arrivent presqu’à la hauteur du genou de Ramsès, les enfants royaux n’arrivent qu’à sa cheville. Quant aux communs des mortels qui évoluent au niveau du sol, il n’atteignent pas la plante de ses pieds.
Au sommet de la façade une frise de 23 babouins, saluent le Soleil Levant, en étendant les bras en signe d’adoration. Sous cet alignement de cynocéphales court un bandeau ininterrompu de cartouches de Ramsès II.
La niche centrale située au-dessus du portail est attribuée au dieu solaire Rê-Horakhty (Horus de l’Horizon). Mais les symboles au pied de la statue nomment Ramsès II en personne.
Bref, Ramsès est partout.
A l’avant-plan de la façade, sur une large terrasse, s’alignent en alternance des statues d’Osiris et d’Horus.
Sur la paroi située à gauche du premier colosse, on distingue « la stèle du mariage » qui commémore l’union entre Ramsès II et la fille aînée du roi hittite Hattousil III.
Bref, Ramsès est partout.
La religion égyptienne: un système complexe basé sur les observations scientifiques des prêtres-astronomes
es prêtres qui possédaient la connaissance des « mystères du ciel » avaient constatés certains phénomènes récurrents. Ces régularités concernaient à la fois:
-un phénomène cosmique (réapparition de l’étoile Sirius à l’aube, au-dessus de l’horizon et à l’est)
-un phénomène géographique (la crue du Nil)
La combinaison des deux phénomènes allait permettre de prédire le moment de l’inondation des terres.
Ce qui engendra un phénomène religieux associé aux deux premiers. Dans les temples, on vénérait surtout les « phénomènes naturels » prévisibles et attendus. L’inondation était attendue, car les terres en recevant les limons du fleuve devenaient très fertiles, ce qui présageait de bonnes récoltes.
Christiane Desroches Noblecourt écrit à ce sujet:
-un phénomène géographique (la crue du Nil)
La combinaison des deux phénomènes allait permettre de prédire le moment de l’inondation des terres.
Ce qui engendra un phénomène religieux associé aux deux premiers. Dans les temples, on vénérait surtout les « phénomènes naturels » prévisibles et attendus. L’inondation était attendue, car les terres en recevant les limons du fleuve devenaient très fertiles, ce qui présageait de bonnes récoltes.
« Chaque année, aux environs du 18 juillet, après une absence de 70 jours, l’étoile Sirius (Sothis, en Égypte) réapparaissait au-dessus de la ligne d’horizon, juste avant que le soleil ne se lève et que survienne l’inondation. »
Dans ce contexte de prédictibilité, des cérémonies officielles pouvaient être programmées.
A Abou-Simbel, on célébrait ainsi le mystère de la crue du Nil. Ramsès y tenait le rôle du Soleil et la reine, celui de l’étoile Sothis.
Le peuple présent à la cérémonie pouvait penser, que c’était la volonté seule du pharaon qui ordonnait au fleuve de déborder. Tout comme Tintin, dans le Temple du Soleil, provoque une éclipse du soleil.
Ci-dessus: tenue du prêtre astronome Aanen à la cour du pharaon Amenhotep III (1390 – 1353 avant J.-C.) – Musée Egizio de Turin.
La peau de léopard est couverte d’étoiles.
« Une symbolique complexe guida la mise en place des temples d’Abou Simbel. Associant le culte de sa personne à celui des dieux, Ramsès assurait sa gloire. »
Christiane Desroches Noblecourt
ménagé en grotte profonde, le Temple d’Abou-Simbel contient une première salle souterraine avec une allée de piliers osiriaques. Sur les murs latéraux, des bas-reliefs illustrent les exploits du Pharaon dans son rôle de Protecteur de la nation.
Au fond du Temple, dans le Saint des Saints, quatre statues se partagent une banquette en pierre. Sculptées dans la roche, elles siègent l’une à côté de l’autre.
De gauche à droite on distingue Ptah, divinité du monde souterrain, Amon-Rê, Ramsès II déifié et Rê-Horakhty (Horus de l’horizon, représenté avec une tête de faucon). Tout le groupe fait face à l’ouverture d’entrée du Temple.
Ramsès s’assurait le concours de ces trois divinités essentielles pour légitimer son pouvoir.
Une mise en scène conçue par les prêtres-astronomes
Deux fois par an, aux équinoxes, les rayons du soleil levant pénétraient jusqu’au fond du Temple et balayaient les statues.
Le 20 octobre, les rayons effectuaient un balayage de la gauche vers la droite, éclairant d’abord le visage de la statue d’Amon-Rê, puis glissaient sur celui de Ramsès.
Le 20 février, les rayons pénétraient dans le sanctuaire en effectuant un balayage en sens inverse (de la droite vers la gauche) touchant tout d’abord la tête de faucon de Rê-Horakhty, pour illuminer ensuite le visage de la statue de Ramsès.
Au cours de ces deux phénomènes, seule, la statue du dieu Ptah n’était jamais éclairée. Divinité des entrailles de la Terre, il était sensé rester dans l’ombre.
Cette mise en scène conçue par les prêtres-astronomes instrumentalisait l’énergie solaire pour en faire une force régénératrice de pouvoir.
Au cours du processus, Ramsès « rechargeait ses batteries divines » par l’entremise d’Amon-Rê, tout d’abord et par celle de Rê-Horakhty dans un second temps.
Par le flux des rayons solaires, les dieux transmettaient au roi l’énergie divine et légitimaient aux yeux de tous son autorité sur ses sujets.
Le 20 octobre, les rayons effectuaient un balayage de la gauche vers la droite, éclairant d’abord le visage de la statue d’Amon-Rê, puis glissaient sur celui de Ramsès.
Le 20 février, les rayons pénétraient dans le sanctuaire en effectuant un balayage en sens inverse (de la droite vers la gauche) touchant tout d’abord la tête de faucon de Rê-Horakhty, pour illuminer ensuite le visage de la statue de Ramsès.
Cette mise en scène conçue par les prêtres-astronomes instrumentalisait l’énergie solaire pour en faire une force régénératrice de pouvoir.
Au cours du processus, Ramsès « rechargeait ses batteries divines » par l’entremise d’Amon-Rê, tout d’abord et par celle de Rê-Horakhty dans un second temps.
Par le flux des rayons solaires, les dieux transmettaient au roi l’énergie divine et légitimaient aux yeux de tous son autorité sur ses sujets.
La photo ci-dessus a été obtenue en juxtaposant deux clichés
Pour une meilleure lisibilité du diaporama ci-dessous:
L’animation se met en mode pause quand le curseur survole le document.
L’animation reprend lorsque le curseur se trouve en dehors du document.
Navigation dans le sujet – À vous de choisir…
Les textes ont été élaborés à partir des ressources suivantes:
10 Grandes découvertes de l’égyptologie – José Miguel Parra, égyptologue, membre de la Mission du Projet Djehuty
Magazine « Histoire et civilisations » Le Monde et National Géographic – N°35 de janvier 2018
Le Mariage de Ramsès II- Pascal Vernus, égyptologue, Directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études , Paris
Magazine « Histoire et civilisations » Le Monde et National Géographic – N°31 de septembre 2017
Le secret des temples de la Nubie – Christiane Desroches Noblecourt – Conservateur en chef honoraire du département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre – Ancien professeur d’archéologie à l’École du Louvre . Paris, éditions Stock/Pernoud, 1999.
Abou Simbel, huitième merveille du monde – Christiane Desroches Noblecourt- Site CLIO
Magazine « Histoire et civilisations » Le Monde et National Géographic – N°35 de janvier 2018
Magazine « Histoire et civilisations » Le Monde et National Géographic – N°31 de septembre 2017