Florence – Des visiteurs atteints d’un mal étrange
Le souffle vient à manquer, le pouls s’accélère, la respiration se fait haletante. Un touriste titube, un autre doit s’asseoir, un troisième demeure prostré, comme subjugué par on ne sait quel sortilège.
Ce n’est pas le scénario d’un nouveau thriller.
Les gardiens des Musées de Florence sont formés pour détecter ces symptômes dont sont victimes certains visiteurs, afin de leur prêter assistance.
Tout comme ce bouclier orné de la tête de la Méduse, Florence peut pétrifier ceux dont le regard croise son foisonnement de chefs-d’œuvres.
La convergence d’autant de beauté dans une cité peut conduire à une overdose du beau magnifié. La beauté devient alors oppressante. Le visiteur perçoit soudain toute l’émotion que dégagent les œuvres exposées.
À raison d’environ dix millions de nuitées par an dans la ville, on déplore toujours quelques visiteurs atteints du syndrome de Stendhal.
Bouclier orné de la tête de La Méduse – œuvre attribuée au Caravage.
Le syndrome de Stendhal
On ne peut soustraire son regard à la beauté qui nous entoure. Nul refuge pour l’œil qui est sollicité de toute part et à tout moment.
Lors de son voyage à Florence en 1817, Stendhal est pris d’un malaise suite à la contemplation de tant de beauté. Mais laissons l’écrivain nous narrer lui-même cette étrange aventure.
Extrait de Rome, Naples et Florence (1826)
de Stendhal
Florence, 22 janvier 1817
– Avant-hier, en descendant l’Apennin pour arriver à Florence, mon cœur battait la chamade… Enfin, à un détour de la route, mon œil a plongé dans la plaine et j’ai aperçu de loin, comme une masse sombre, Santa Maria del Fiore et sa fameuse coupole, chef-d’œuvre de Brunelleschi.
« C’est là qu’ont vécu le Dante, Michel-Ange, Léonard de Vinci ! Me disais-je ; voilà cette noble ville, la reine du Moyen Âge ! C’est dans ces murs que la civilisation a recommencé… »
Les souvenirs se pressaient dans mon cœur, je me sentais hors d’état de raisonner, et me livrais à ma folie comme auprès d’une femme qu’on aime…
Au risque de perdre tous ces petits effets qu’on a autour de soi en voyageant, j’ai déserté la voiture aussitôt après la cérémonie du passeport.
J’ai si souvent regardé les vues de Florence, que je la connaissais d’avance ; j’ai pu y marcher sans guide. J’ai tourné à gauche, j’ai passé devant un libraire qui m’a vendu deux descriptions de la ville.
Deux fois seulement j’ai demandé mon chemin à des passants qui m’ont répondu avec une politesse française et un accent singulier ; enfin, je suis arrivé à Santa Croce. Là, à droite de la porte, est le tombeau de Michel-Ange ; plus loin, voilà le tombeau d’Alfieri, par Canova : je reconnais cette grande figure de l’Italie.
J’aperçois ensuite le tombeau de Machiavel ; et, vis-à-vis de Michel-Ange, repose Galilée.
Quels hommes ! Et la Toscane pourrait y joindre le Dante, Boccace et Pétrarque…
Un moine s’est approché de moi…
J’ai parlé à ce moine, chez qui j’ai trouvé la politesse la plus parfaite. Il a été bien aise de voir un Français. Je l’ai prié de me faire ouvrir la chapelle à l’angle nord-est, où sont les fresques du Volterrano.
Il m’y conduit et m’y laisse seul.
Là, assis sur le marchepied d’un prie-Dieu, la tête renversée et appuyée sur le pupitre, pour pouvoir regarder au plafond, les Sibylles du Volterrano m’ont donné peut-être le plus vif plaisir que la peinture m’ait jamais fait.
J’étais déjà dans une sorte d’extase,
par l’idée d’être à Florence, et le voisinage des grands hommes dont je venais de voir les tombeaux. Absorbé dans la contemplation de la beauté sublime, je la voyais de près, je la touchais pour ainsi dire.
J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les beaux-arts et les sentiments passionnés.
En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, ce qu’on appelle des nerfs à Berlin ; la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber.
À VOUS DE CHOISIR